
"Le Palais" Encre sur papier 50 x 65 cm




















« Il est des périodes où parler devient difficile. Des périodes où les discussions s’enveniment pour une phrase, un mot. Des débats qui éloignent. Chaque période électorale est un moment particulier, où les langues se délient, où les gens se révèlent ou se taisent. Parler c’est s’exposer. S’exposer aux désaccords et risquer la rupture parfois, tant la distance qui nous sépare peut-être grande et incompressible.
Parler politique est un sport national qui se pratique le plus souvent le dimanche midi autour d’un gigot familial, ou autour d’une machine à café. Désormais Il devient très dangereux d’aborder certains thèmes avec des êtres chers. La politique est un sujet clivant. Il l’a toujours été, et c’est ce qui fait la saveur des débats, qu’ils soient télévisés ou improvisés. Maintenant, les débats ressemblent à des guerres de tranchées. Personne ne bouge. Personne ne parle, de peur de découvrir d’affreuses choses sur l’autre.
Alors, comme parler devenait un risque trop grand, j’ai fait la seule chose dont j’étais capable. J’ai créé. J’ai commencé par des portraits d’animaux début 2015, à un moment où je cherchais à renouveler mon regard, à dire autrement. Une série s’est vite dessinée, avec cinq, dix, puis, rapidement, une vingtaine de portrait d’animaux. Tous arboraient un signe, un accessoire qui les humanisaient. J’ai assez naturellement baptisé cette série « Anthropomorphisme ». Cet humanisation de l’animal allait tout naturellement me mener à sa réciproque, « l’animalisation » de l’homme.
L’homme de pouvoir, et plus particulièrement du pouvoir politique était un sujet parfait pour poursuivre ce travail.
L’animal est souvent au centre de la politique, que l’on discute de son sort comme après une vidéo du collectif L214, ou qu’il accompagne les manifestations des agriculteurs dans Paris. Mais il est également présent plus discrètement et cependant de manière continue dans la représentation des politiques. Les discours sont souvent émaillés de métaphore sur le règne animal, les caricatures en regorgent, les symboles, les emblèmes également.
De « Clémenceau le Tigre » à « Churchill le Lion », le monde politique est rempli de métaphores animalières. L’aspect « bestial » de la fonction, le « cirque » de l’Assemblée Nationale, l’aspect de « meute » des partis politiques, les « éléphants » du PS, le panier de crabes, la faune politique, les gorilles des services d’ordres. La translation de ces hauts personnages dans un domaine non politique et connu de tous permet de parler immédiatement à l’imaginaire.
Loin d’être constantes, les références aux animaux en politique tiennent plus de la conjoncture économique et culturelle du pays que d’un choix formel, bien que les caractéristiques morphologiques de certaines espèces puissent faciliter la caricature ou la métaphore. Ainsi, l’autruche ne sera pas utilisée pour son long coup ou pour sa capacité à courir extrêmement vite, mais pour l’expression « Faire l’autruche » ou mener une « politique de l’autruche ».
Impliquer le monde animal dans son discours permet surtout de parler directement à une culture, aux références de son auditoire et de clarifier par des images fortes et simples ses positions : « untel est un loup toujours à l’affût ». Clair, net, efficace. Avec l’animal, pas besoins de long discours. Des siècles de zoomorphisme et d’anthropomorphisme ont ancrés dans notre culture que le corbeau était de mauvaise augure, sinistre voire morbide, que le lion était le roi incontesté de la savane, majestueux, plein de panache et de force, que le loup était dangereux et endurant, que la gazelle était fragile, vive et symbole de féminité. L’évocation de l’animal apporte avec elle une foule d’adjectifs pré formatés et très percutants.
Cependant, il est une limite à la force de ses images. Lorsque son audience est multiculturelle, il est très important de ne pas se tromper car la signification qu’amène un animal varie selon le pays, la croyance ou le milieu social. Le serpent, symbole chrétien de la traîtrise et du mal par la tentation qu’il incarne lors du péché originel est vénéré en Inde et est un symbole extrêmement positif chez les Amérindiens.
Un usage trouvant ses racines dans l’antiquité voulait que certains patronymes humains soient dérivés du nom d’un animal. Les noms étaient attribués aux hommes selon leur ressemblance avec tel ou tel animal. La physiognomonie a même failli élever cet usage au rang de science. Les bases de cette discipline expliquaient que si un être humain partageait certaines caractéristiques morphologiques avec un animal, il partageait également ses traits de caractères. Ainsi « Aristote en sa physionomie, dit que ceux qui ont la tête en pointe, sont éhontés et tiennent du naturel des oiseaux qui ont de grands ongles, à savoir les corbeaux et les cailles, qui sont impudents et ont la tête en pointe » (La Physionomie Humaine, Giambattista Della Porta).
C’est un peu pour ces raisons que je n’ai pas voulu dessiner ni les visages, ni les mains de tous les personnages représentés. Mon souhait est de les représenter uniquement par la faune les entourant, quelques détails et échapper ainsi au jeu de la ressemblance physionomique. Je souhaitai également les représenter toutes et tous dans le même « costume », seul élément constant à travers la série, costume métonymique figurant la fonction présidentielle.
L’ouvrage que vous tenez entre les mains recense les vingt dessins que j’ai réalisé à l’occasion des élections présidentielles de 2017 pour constituer mon propre bestiaire politique. Je n’ai pas cherché forcément à émettre un jugement sur l’individu que je dessine, mais à l’instar du maître qui ressemble à son chien, à faire ressortir à travers les animaux et leur symbolique, l’image qu’ils reflètent.
Guillaume Piot / Prag